SNUipp-FSU Guyane
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Carte scolaire : « Le libre choix de l’école ne fait qu’accroître les inégalités ».
lundi, 14 février 2011
/ Amalia

"Qu’en est-il des pays dans lesquels les parents choisissent une école sans que les autorités interviennent dans la régulation du nombre d’élèves ?", interroge Nadine Dalsheimer-Van Der Tol, adjointe au chef de la mission aux relations européennes et internationales, direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, MEN. Elle signe un article intitulé « La carte scolaire : un éclairage international » dans la revue Éducation et formation de la Depp, de décembre 2010 (AEF n°145284).

« Les pays où les familles ont la liberté totale de choix de l’établissement scolaire sont rares puisqu’il ne s’agit que de la Belgique, des Pays-Bas et de l’Irlande ; dans sept autres pays (Angleterre et pays de Galles, Autriche, Bulgarie, Espagne, Italie, Lettonie et Slovaquie), il y a liberté de choix, mais les autorités interviennent quand la capacité d’accueil est dépassée », explique l’auteur. « Dans les autres pays, les élèves se voient attribuer un établissement avec des possibilités plus ou moins grandes de demander une autre affectation dans un autre établissement. »

IMPORTANCE DE L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ

Elle indique que « les systèmes éducatifs des trois pays où la liberté de choix de l’établissement est la plus répandue sont caractérisés par l’existence d’un enseignement privé très développé ou d’un enseignement public, pour l’Irlande, proche du fonctionnement de l’enseignement privé ». Nadine Dalsheimer-Van Der Tol souligne « l’importance de l’enseignement privé subventionné », « considérable en Belgique (56 % des élèves) et aux Pays-Bas (76 % des élèves) ».

« En Belgique, particulièrement, un dispositif réglementaire empêche les établissements publics qui reçoivent plus de demandes d’inscriptions que de places disponibles, de sélectionner les élèves selon le critère du carnet scolaire de l’élève. Ce dispositif, qui a été institué pour réintroduire plus de mixité sociale provoque actuellement un débat très animé », explique-t-elle. « Au Pays-Bas, la liberté de choix n’est pas générale - certaines municipalités ont établi une sectorisation - et le système du second degré implique une orientation assez précoce déterminée à la fin du primaire vers trois types d’établissements ou filières. »

LE CAS DE L’ANGLETERRE

Dans « l’autre catégorie de pays dans lesquels « les parents choisissent une école mais les autorités peuvent intervenir si la capacité d’accueil est dépassée », « l’enseignement privé y est largement minoritaire sauf en Espagne (30 %) et en Angleterre et Pays de Galles (20 %) ; dans les autres pays, il est en dessous de 10 % comme en Autriche (8 %) et en Italie (5,5 %), voire presque inexistant en Bulgarie (1,6 %), Lettonie (1,3 %) et Slovaquie (1,6 %) ».

Pour l’auteur, « le cas de l’Angleterre est intéressant dans la mesure où l’introduction de la liberté complète de choix des familles dans les années 80 devait entraîner une diversification de l’offre en fonction de la diversité des origines sociales des élèves ». « L’effet attendu, selon plusieurs études, n’est pas intervenu : les établissements cherchent moins à se diversifier qu’à calquer leur fonctionnement sur le modèle unidimensionnel d’excellence académique des établissements les plus réputés, ce qui fait que le libre choix se traduit moins par une différenciation que par une hiérarchisation de l’offre », explique-t-elle. Nadine Dalsheimer-Van Der Tol ajoute que l’on « observe peu d’efforts novateurs en direction des élèves en grande difficulté ». « Ces dernières années, des réglementations sont venues pallier les effets pervers du dispositif de libre choix (tirage au sort pour les établissements dont la demande excède les capacités d’accueil, ou encore critères religieux). » « En 2008, la presse anglaise évoquait la mise en place des loteries pour tirer au sort l’attribution des collèges dans le cas où toutes les demandes ne pouvaient être satisfaites. Le but de la réforme était d’empêcher que les familles les plus aisées, capables de se loger le plus près des écoles les plus recherchées, ne soient favorisées par rapport aux foyers les plus modestes », poursuit-elle.

SUPPRESSION DE LA CARTE SCOLAIRE : ÉQUITÉ OU INÉQUITÉ ?

Se basant sur les résultats de l’étude ’Reguleduc’ (1), l’auteur avance qu’il « ressort que des relations d’interdépendance compétitive existent entre les établissements scolaires qui affectent leurs rapports avec les autorités locales comme avec les parents, mais aussi leur fonctionnement pédagogique interne ». « Les établissements scolaires sont pris dans une ’régulation de marché’ qui semble échapper à la maîtrise des politiques et peser sur les inégalités sociales et scolaires », souligne-t-elle.

Nadine Dalsheimer-Van Der Tol cite « une autre étude récente » (2) du chercheur belge Nico Hirtt et en conclut que « le libre choix de l’école ne fait qu’accroître les inégalités ». En effet, Nico Hirtt note que « dans le contexte des pays industrialisés avancés d’Europe occidentale, une augmentation de la liberté de choix en matière d’enseignement primaire et secondaire se traduit en moyenne par une augmentation importante de la détermination sociale des prestations scolaires, donc de l’inégalité. De même, une sélection plus précoce des élèves en filières hiérarchisées conduit également à une croissance des inégalités dans l’enseignement. Au total, deux tiers de la variance entre ces pays en matière d’équité scolaire peuvent être expliqués par la conjonction de ces deux variables : liberté de choix et âge de la sélection ».

« UN DÉFI POUR LA FRANCE »

En France, « le dispositif d’assouplissement de la carte scolaire, décidé en juin 2007, a été mis en ?uvre pour la rentrée scolaire 2008. Au total, 115 000 demandes de dérogation ont été exprimées, soit une hausse de près de 20 000 par rapport à la rentrée 2007 », signale l’auteur. Et de détailler : « Pour le collège, le nombre total de demandes de dérogation est passé de 58 600 à 75 500. Ces demandes se sont principalement exprimées sur le choix du collège d’entrée en classe de sixième et a concerné un élève sur 10 et environ 9 de ces demandes sur 10 ont été satisfaites. »

« Cette réforme a deux objectifs : répondre à une attente des parents, tout en favorisant la mixité sociale. Le premier objectif est atteint en répondant aux v ?ux de trois parents sur quatre, même s’ils sont en réalité peu nombreux à utiliser cette possibilité de dérogation facilitée », souligne-t-elle. « Il convient de remarquer également que les demandes concernent surtout l’entrée en sixième ou en seconde et, très rarement, un changement d’établissement en cours de cycle. »

« Concernant la mixité sociale, elle ne semble pas pour le moment renforcée », pointe-t-elle. « Depuis, les circulaires ministérielles de rentrée de 2009 et 2010 ont demandé de renforcer l’égalité des chances en informant les familles les moins favorisées pour qu’elles puissent faire valoir leurs droits à bénéficier de l’assouplissement de la carte scolaire », poursuit-elle. « Celui-ci a provoqué l’évitement d’un certain nombre de collèges et la circulaire de 2010 demande aux autorités académiques de se saisir des problèmes de ces établissements, et élément nouveau, les appelle à ’contribuer à alimenter la réflexion des collectivités territoriales de manière à favoriser une évolution de la sectorisation dans le sens d’une plus grande mixité sociale’ », conclut-elle.