SNUipp-FSU Guyane
http://973.snuipp.fr/spip.php?article394
École et commune : accroissement des inégalités
jeudi, 18 décembre 2008
/ SNUipp-FSU 973 /

co-secrétaire départemental du SNUipp Guyane

"L’école est plus ou moins gratuite selon le lieu où on habite", affirme Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, à l’occasion de la présentation d’un rapport intitulé "Les communes et l’école de la République", mardi 16 décembre 2008. "Nous nous sommes interrogés sur la pertinence du choix de la commune comme support de l’école. Au regard des évolutions législatives de ces dernières années, l’école communale non seulement ne réussit pas à maintenir l’égalité mais a tendance à accentuer l’inégalité des chances", constate Philippe Séguin.

L’enquête à l’origine de ce rapport a été réalisée par la Cour des comptes et 14 chambres régionales des comptes. Elle a porté sur l’administration centrale du ministère de l’Éducation nationale, 14 académies et 150 collectivités de toutes tailles.

Partage des compétences

L’école est "une compétence de base de la commune, mais elle a la particularité d’être une politique publique partagée avec l’État, dont le contenu et les modalités d’exercice ont beaucoup évolué", note la Cour des comptes.

"Le partage d’origine entre la commune, cantonnée au matériel c’est-à-dire la construction des écoles et leur fonctionnement matériel, et l’État, responsable de la fixation des programmes, des orientations pédagogiques et du recrutement des enseignants, a été modifié au cours des années :
- les communes ont mis en place, notamment dans le temps périscolaire, des actions et des services, constitutifs, même si cela est rarement explicite, d’une politique éducative locale qui est désormais une composante du service public attendu des familles ;
- la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales a renforcé le partenariat de l’État et des collectivités locales en créant une nouvelle instance de concertation, le ’conseil territorial de l’éducation nationale’, en redéfinissant les responsabilités locales en matière de sectorisation des écoles et en prévoyant la possibilité d’expérimenter la création d’établissements publics d’enseignement primaire ;
- la loi du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école fixe de nouveaux objectifs prioritaires à tous les niveaux de l’enseignement scolaire."

Accroissement des inégalités

"Aujourd’hui, certaines communes n’ont pas les moyens et ont les plus gros besoins", affirme Philippe Séguin qui cite en exemple "les NTIC ou l’assistance aux enfants en difficulté" comme "autant d’illustrations de cette inégalité".

Constatant que "les communes sont mises à contribution", la Cour des comptes signale que "la question du ’qui fait quoi’ varie d’une ville à l’autre "en fonction des moyens et des écoles". "Alors qu’elle doit corriger les inégalités financières, socioculturelles et géographiques, l’organisation actuelle de l’école les laisse souvent persister lorsqu’elle ne contribue pas à les accroître."

La Cour des comptes distingue ainsi trois types d’inégalités :

• Les "inégalités par omission" : "Faute de définition précise des responsabilités, on ne sait qui doit financer quoi", explique Philippe Séguin qui cite l’exemple de l’État qui n’a "pas tranché sur le caractère obligatoire ou non de l’acquisition par les communes de matériel informatique à usage pédagogique". De ce "flou juridique", résultent des situations de grande inégalité entre les communes, certaines disposant de "un ordinateur pour cinq élèves" quand d’autres n’en ont qu’ "un seul pour 138 élèves". Le premier président de la Cour des comptes précise que "29% des écoles françaises avaient une connexion internet en 2006 contre 63% en moyenne en Europe". De même pour les fournitures scolaires et les manuels, financés à hauteur de 31 euros à 64 euros par élève suivant les communes.

• Les "inégalités par action" : "Les communes peuvent développer des dispositifs péri ou extrascolaires, dans le sport ou l’aide et le soutien scolaire" mais "ces activités relèvent du libre choix des communes et non d’une obligation légale", regrette la Cour des comptes qui constate une "différence de prestations selon la taille et les priorités des communes."

• Les "inégalités par confusion" : "Il règne une confusion entre les responsabilités respectives de l’État et les communes dans la gestion de la carte scolaire. Les communes peinent à établir le nombre d’élèves sur leur périmètre or, un simple croisement avec des fichiers des services étatiques pourrait les y aider. De même, l’État s’autolimite en ne procédant qu’à des réaffectations limitées, certaines zones restant sous-dotées en moyens." Philippe Séguin constate qu’ "un quart des communes n’ont pas mis en place de sectorisation et 2/5 ne l’ont pas formalisée comme le veut la réglementation : une large place est laissée au pragmatisme et aux dérogations, ce qui constitue autant d’atteintes au principe d’égalité".

Clarification des missions

"Ces difficultés viennent avant tout d’une grande fragilité institutionnelle", poursuit le premier président de la Cour des comptes. "Les communes ne savent pas définir une politique éducative lisible", celle-ci étant "souvent sous-administrée au lieu d’être considérée comme prioritaire". Ainsi, "4 200 postes de directeurs d’école sont vacants et 70% des écoles de deux à quatre classes n’ont pas de directeur."

La Cour des comptes préconise plusieurs solutions :
- une meilleure prise en compte des spécificités locales, les décisions devant être prises au plus près du terrain, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps scolaire sur la semaine voire sur l’année ;
- une plus grande part de décision laissée aux communes, poussant la logique de décentralisation à son terme et permettant aux communes de se doter d’une administration adéquate ;
- un appel à toute forme de péréquation possible au niveau intercommunal entre petites villes et grande ville voisine, et au niveau national, en fonction des difficultés rencontrées dans les quartiers ;
- une clarification du flou budgétaire actuel, les communes étant souvent dans l’incapacité de chiffrer leur effort financier, ce qui empêche de mesurer les disparités ;
- une clarification par l’État du périmètre des dépenses communales obligatoires ;
- une mise en place d’outils d’évaluation des différentes composantes de la dépense scolaire ;
- une garantie par l’État de l’homogénéité de la gestion scolaire et des contenus pédagogiques.

"Le rôle de l’État n’est pas d’imposer des mesures mais d’intervenir lorsque nécessaire dans une mission de péréquation et d’harmonisation", insiste Philippe Séguin qui estime que les "deux heures de soutien et le SMA (service minimum d’accueil en temps de grève) auraient mérité davantage de concertation avec les communes".

Par ailleurs, la Cour des comptes estime que "les caisses des écoles ont une organisation interne et une composition de leur conseil d’administration qui ne correspondent pas du tout à l’élargissement de leurs domaines d’action vers le périscolaire". La Cour constate en effet que "le SMA a pu être mis à la charge des caisses des écoles, tout comme l’accompagnement éducatif", ce qui ne relève pas de leurs prérogatives initiales.

Concernant le forfait communal, si la Cour des comptes ne souhaite pas "commenter" la proposition de loi Carle adoptée par le Sénat "pour ne pas glisser sur un terrain politique", elle estime néanmoins que "les dépenses devant entrer dans le forfait communal sont susceptibles d’être interprétées car aucune liste de dépenses obligatoires n’existe" (L’AEF n°106097).

L’EPEP n’est pas la seule solution

Alors que le ministère de l’Éducation semble "très favorable" à la mise en place des EPEP, la Cour des comptes s’interroge sur la volonté du ministère "d’endosser cette proposition de loi entérinant un passage à une obligation dans ce domaine". Ainsi, le rapport souligne que "si un consensus semble se dégager sur l’objectif de favoriser une meilleure synergie de l’organisation de l’école et de l’action des communes en associant mieux les élus locaux, les acteurs et les usagers, afin notamment de renforcer l’articulation entre les actions scolaires et périscolaires, l’EPEP ne semble pas pour tous la meilleure ou la seule solution".

La Cour des comptes se fait l’écho de certains maires qui ont "fait connaître leurs fortes réserves" et "font valoir que des politiques partenariales efficaces pourraient être mises en œuvre en dehors de tout support juridique nouveau". D’autres réformes seraient également envisageables "pour développer les marges d’initiative des écoles : accroissement du rôle des directeurs au sein des circonscriptions de l’éducation nationale, développement de la contractualisation pluriannuelle avec les communes, attribution de pouvoirs supplémentaires aux conseils d’école".