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Et si le mouvement social était en train de rebondir ?

Propos recueillis par Mathieu Magnaudeix pour Médiapart (article complet dans le PDF joint).

dimanche 21 novembre 2010

Spécialistes des mouvements sociaux et du syndicalisme, Sophie Béroud (maître de conférences de science politique à l’université Lumière Lyon-2) et Karel Yon (enseignant-chercheur à Lille-2) reviennent pour Mediapart sur le mouvement social contre les retraites.

« Les syndicats ont subi un revers », mais « fait la démonstration de leur capacité à construire un mouvement de masse ». Sophie Béroud et Karel Yon analysent le rôle ambigu de l’intersyndicale, la façon dont les états-majors ont joué l’opinion plutôt que le durcissement. Ils décryptent la richesse du mouvement sur le terrain, avec un recours accru aux blocages, la vraie nouveauté du conflit. Et font l’hypothèse que le mouvement, via Internet, est « déjà peut-être en train de rebondir ».

Dans la revue Contretemps, vous estimez que ce mouvement a « remis les organisations syndicales au centre du jeu ». Elles n’ont pourtant rien gagné...

Dans une lecture centrée sur le court terme, on peut effectivement estimer qu’au regard des moyens qu’elles ont déployés sur plusieurs mois, les organisations syndicales subissent aujourd’hui un revers. Cette lecture avancée par une partie de la presse nous semble cependant peu pertinente. Tout dépend des critères. Du point de vue de l’objectif donné à la mobilisation, celui de stopper la réforme, c’est un échec. Mais les choix faits par l’intersyndicale pourraient aussi conduire à se demander si les organisations syndicales envisageaient vraiment un recul du gouvernement. Ne considéraient-elles pas comme tactiquement plus réaliste de marquer suffisamment dans les mémoires l’illégitimité de la réforme pour faciliter sa remise en cause dans un contexte plus favorable ?

Face à l’offensive menée par Nicolas Sarkozy sur le terrain social, l’échec aurait pu consister dans une victoire du gouvernement sans combat syndical, ou bien dans un effondrement brutal, à l’image de la défaite infligée par Margaret Thatcher au mouvement syndical britannique après la grève des mineurs en 1984. Or ce n’est pas le cas.

Les syndicats ont, au contraire, fait la démonstration de leur capacité à construire un mouvement de masse sur la durée et dans l’unité. Aucune organisation – association, parti, réseau militant – n’est aujourd’hui en capacité de mettre autant de monde dans la rue, d’animer une telle séquence de contestation. Ils ont ainsi démontré qu’ils étaient incontournables dans la période. Ils ont, de plus, réussi à impliquer dans l’action beaucoup de salariés du privé, autrement dit des secteurs qui ne sont pas ceux sur lesquels ils s’appuient de façon récurrente dans les entreprises et la fonction publique.

C’est donc aussi sur le moyen terme qu’il conviendra d’apprécier les résultats de ce mouvement. Ces huit semaines de mobilisation ont été l’occasion pour bien des structures syndicales de mener une intense activité de prise de contact dans des entreprises où il y a peu de présence syndicale. Des milliers de tracts ont été distribués avant chaque grande manifestation, ce qui a impliqué tout un travail militant pour essaimer sur le territoire. La CGT a clairement fait le pari de s’appuyer sur la mobilisation pour développer la syndicalisation, pour lancer de nouvelles implantations. Il faudra voir dans les mois à venir ce que ces contacts vont donner.

De même, cette idée de victoire symbolique pour le mouvement syndical peut être déclinée pour chaque organisation. La CFDT a réussi à se relégitimer sur le terrain des luttes, le traumatisme de 2003 est en partie surmonté. La CGT a confirmé sa position de force motrice pour tout le mouvement syndical. Solidaires a su remplir son rôle de participant à part entière à l’intersyndicale et de porte-parole de la radicalité du “terrain”. FO a pu cultiver sa singularité, tout comme les autres organisations qui ont participé au concert unitaire tout en jouant par moment leur propre musique.

« L’intersyndicale n’a ni entravé, ni encouragé les actions radicales »

La CGT et la CFDT se sont gardées d’appeler au retrait du texte et ont mollement soutenu les grèves reconductibles. afin de ne pas perdre le soutien de l’opinion. A la base, certains se sont sentis lâchés. Ce choix de la modération a-t-il vraiment payé ?

Relativement à la séquence précédente de mobilisation – au printemps 2009, contre la crise –, les discours de dénonciation des trahisons syndicales ont été moins fréquents, ou en tout cas moins audibles. Cela tient à la façon dont l’intersyndicale a joué son rôle, comme une sorte de métronome de la mobilisation : elle a fixé le rythme du mouvement à travers ses temps forts, mais elle n’empêchait pas ceux qui le voulaient d’accélérer tout en s’appuyant sur ces échéances. Elle n’a pas entravé des discours ou des formes d’action plus radicaux, mais ne les a jamais encouragés. Cette ambivalence est consubstantielle à l’intersyndicale : elle a joué en même temps un rôle amplificateur et un rôle plafond.

On comprend mieux cette ambiguïté si on appréhende le mouvement dans sa temporalité.

En posant des échéances dès avant les vacances d’été, l’intersyndicale a incontestablement permis d’élargir et d’ancrer progressivement la mobilisation. Son existence même désamorçait les critiques récurrentes à l’encontre du syndicalisme français, toujours accusé d’être morcelé, divisé, davantage occupé par ses conflits internes que par l’intérêt des salariés. L’intersyndicale s’étant posée comme seul émetteur national légitime de la mobilisation, ses échéances étaient incontestables, ce qui a par exemple permis l’organisation de manifestations dans des communes où l’on a peu l’habitude de le faire. La pérennisation d’un cadre d’action unitaire devait également permettre d’ôter toute prise au gouvernement pour jouer un syndicat contre l’autre, afin d’éviter le scénario de 2003. Mais là, pour le coup, on doit dire que l’intransigeance du gouvernement a rendu un grand service au mouvement syndical, en rendant improbable toute sécession négociatrice.

Une mobilisation sociale n’est pas un grand flux continu, c’est un processus dynamique qui connaît des étapes.

On peut se demander pourquoi, à ce moment, l’intersyndicale appelle à « amplifier le soutien de l’opinion publique » plutôt qu’à amplifier l’action, par exemple en relayant l’idée d’une journée de grève ou de blocage de l’économie.

Deux raisons peuvent être avancées. D’abord, le cadre même de l’intersyndicale rendait difficile tout soutien aux formes de mobilisation les plus radicales. Son dénominateur commun, c’était certes l’opposition à la réforme, mais l’argument récurrent pour justifier cette opposition, c’était l’absence de toute concertation préalable de la part du gouvernement. C’est à ce prix que l’intersyndicale a pu maintenir jusqu’au bout en son sein le pôle dit “réformiste” (CFTC, CGC, Unsa, CFDT).

Manifs, grèves, blocages : des « registres » complémentaires

La stratégie de journées de grèves et de manifestations espacées a également été contestée : on a parlé d’un calendrier trop lâche, de journées “saute-mouton”. Certains, comme FO, appelaient à la grève générale, d’autres (CGT, CFDT, Unsa...) estimaient que c’était pure incantation...

L’affrontement entre partisans de la grève générale et défenseurs des manifestations du samedi a pu revêtir par moment une dimension identitaire, chaque modalité d’action étant investie en soi d’un caractère nécessairement “radical” ou “responsable”. Les journées “saute-mouton” ont permis moins d’élargir le mouvement – le nombre de participants aux manifestations a finalement peu varié entre les semaines et les week-ends – que de le diversifier.

« Une confrontation de classes »

Des formes de soutien ont émergé, comme le soutien aux grévistes des raffineries par des virements bancaires. N’est-ce pas aussi une façon de s’exonérer d’une participation plus franche au mouvement ?

Une relative ambivalence existe, en effet, dans ces formes de soutien : elles constituent des moyens pour se mobiliser sans s’exposer sur son propre lieu de travail. Mais elles permettent aussi à des salariés de sortir de leur isolement et de se penser en lien avec d’autres.

Il ne faut pas négliger non plus que cette solidarité financière a revêtu, en plus de ce qu’elle apportait sur le plan matériel, une dimension très symbolique pour les salariés engagés dans des grèves reconductibles, notamment dans les raffineries.

Ce mouvement est-il éteint, ou peut-il resurgir, sous d’autres modalités ?

Peut-être est-il déjà en train de rebondir. La recomposition des répertoires d’action collective ne concerne pas que le blocage. Elle touche aux usages d’internet et à la valorisation des pratiques civiques. Si la phase d’occupation de l’espace public matériel semble suspendue, c’est l’espace public virtuel qui est désormais investi. Voyez par exemple la pétition en ligne pour un référendum sur la réforme des retraites, lancée par Politis. Le nombre de signataires a explosé après le 6 novembre.

On y retrouve l’esprit de la votation citoyenne sur La Poste. Cette démarche a d’ailleurs été légitimée par la révision constitutionnelle de 2008 qui prévoit – même si la procédure est très encadrée – la possibilité d’un référendum d’initiative citoyenne. La pétition en ligne de la CGT a quant à elle déjà rassemblé plus de 600.000 signatures...

L’article complet ici :

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