Jusqu’au vote solennel prévu le 20 octobre au Sénat, le gouvernement peut encore introduire des modifications à son texte. Y compris sur les articles 5 et 6 – portant sur l’allongement de 60 à 62 ans de l’âge légal de départ à la retraite et de 65 à 67 ans pour le bénéfice des droits acquis sans décote –, examinés en priorité. Il peut demander une seconde délibération sur un ou plusieurs articles, comme il va être contraint de le faire sur l’article 4, rejeté jeudi 14 octobre à la suite de la "bourde" commise par le délégué du groupe Union centriste au moment du vote de l’article. Pensant qu’il s’agissait d’un vote appelé sur un amendement du groupe communiste, le malheureux sénateur, au lieu de prendre dans son pupitre les 29 bulletins blancs dont il était mandataire pour les mettre dans l’urne "pour", a remis un paquet de 29 bulletins bleus qui sont allés dans l’urne "contre". L’article a ainsi été rejeté par 181 voix contre 155.
UNE SEULE LECTURE
Le gouvernement a engagé sur ce projet de loi la procédure accélérée lui permettant, après une seule lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, de convoquer une commission mixte paritaire (CMP). Composée de 7 députés et de 7 sénateurs, celle-ci sera chargée de proposer un texte sur les dispositions n’ayant pas fait l’objet d’un vote conforme dans les deux assemblées, soit en retenant la proposition de l’Assemblée ou celle du Sénat, soit en proposant une rédaction de compromis.
Si la CMP parvient à un accord, le texte sera soumis à l’approbation de chacune des deux chambres. Le gouvernement peut encore, à ce moment, proposer de nouveaux amendements. Si la CMP échoue ou si le texte de la CMP est rejeté par une des deux assemblées, le gouvernement peut demander une nouvelle lecture. En cas de désaccord persistant, il pourra demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement. Il peut aussi décider de retirer son texte.
Une fois le projet de loi définitivement approuvé, il doit encore être validé par le Conseil constitutionnel, saisi par au moins 60 députés ou 60 sénateurs, ce que l’opposition ne manquera pas de faire. Le Conseil dispose d’un délai d’un mois pour statuer. Ce délai peut toutefois, à la demande du gouvernement, être ramené à huit jours.
La saisine du Conseil constitutionnel suspend la promulgation de la loi. Une fois rendue la décision du Conseil constitutionnel, si le projet de loi est jugé conforme à la Constitution, le président de la République décide de sa promulgation.
LE CAS DU CONTRAT PREMIÈRE EMBAUCHE
Ceci met-il un terme à toute possibilité de modification ? Que nenni. Le précédent du contrat première embauche (CPE), en 2006, nous instruit.
Le projet de loi avait été définitivement adopté au Sénat, dans la nuit du 28 février au 1er mars. Les mobilisations s’étaient poursuivies. Le PS avait introduit le 14 mars un recours devant le Conseil constitutionnel, qui avait validé sans réserves le projet de loi le 30 mars. La mobilisation s’était poursuivie.
Plusieurs possibilités s’offraient alors au président de la République, Jacques Chirac à l’époque. Demander une nouvelle délibération : cette procédure a été utilisée à trois reprises depuis les débuts de la Ve République, en 1958. Le Parlement peut alors reprendre l’examen du texte qu’il a adopté et se prononcer sur les amendements qui lui sont soumis. Abroger ou supprimer une partie des dispositions du texte. Suspendre son application.
Jacques Chirac, jugeant qu’"il ne saurait y avoir ni vainqueur ni vaincu", choisit une formule inédite. Dans une allocution télévisée prononcée le 31 mars, soit un mois après l’adoption définitive du texte par le Parlement, il annonçait sa décision de promulguer la loi et, dans le même temps, de demander au gouvernement de préparer un nouveau texte pour la modifier.
Pendant trois jours, du 5 au 7 avril, sous la pression d’une mobilisation maintenue, une délégation de crise composée de deux ministres, deux députés et deux sénateurs de la majorité, engageaient une négociation avec les représentants des syndicats et des organisations de jeunesse. Le 10 avril, le premier ministre, Dominique de Villepin, acceptait de renoncer au maintien du CPE.
Une nouvelle proposition de loi était déposée, et votée dans la foulée. Elle remplaçait l’article portant création du CPE. La preuve que rien n’est jamais "définitif".