- Lutter contre l’illettrisme. Qui pourrait être contre ?
En présentant au salon du livre, un nouveau plan, Luc Chatel, le ministre de l’éducation s’est d’abord voulu consensuel. Il est important que chaque élève maitrise ce savoir fondamental qu’est la langue française. Tout le monde acquiesce. Il est enrichissant d’amplifier les partenariats existants. Tout le monde en redemande. Puis, comme à chaque fois quand le ministre recourt à l’école, le ton devient tout de suite plus décevant : « aucun moyen supplémentaire ne sera dégagé ». Pour le ministère, tout est déjà en place. « La lutte contre l’illettrisme doit s’appuyer sur les programmes 2008, l’aide personnalisée, les évaluations, les stages de remise à niveau, l’accompagnement éducatif,… » Le ministre fait mine d’ignorer que ces mesures sont fortement contestées par les professeurs des écoles et que leur efficacité est très largement mise en doute.
- Pour la méthode, « place à l’essentiel » avec une seule manière de faire. Jugez par vous-même.
En maternelle, ce sera l’apprentissage méthodique de 150 à 700 mots acquis d’ici la fin de la Grande section, la stimulation de la mémoire mécanique, par l’apprentissage par cœur de textes ou de chansons.
En primaire, c’est le recours exclusif à la « gonflette des neurones » : répétition, récitation par cœur, en particulier des tables d’opération et des conjugaisons, pour installer les automatismes. La part des activités de l’aide personnalisée et de l’accompagnement éducatif consacrée à l’acquisition des savoirs fondamentaux devra être là aussi renforcée.
Seule respiration accordée aux élèves, le ministre consent à la lecture à haute voix de grands textes littéraires, pour sensibiliser les élèves au plaisir de la lecture et favoriser la concentration.
Côté partenariat, quatre projets déjà existants devraient être étendus : le dictionnaire de l’Académie de Créteil, constitué par des élèves sous l’égide de l’Académie française ; l’opération d’Alexandre Jardin « Lire et faire lire » avec La Ligue de l’enseignement (elle pourrait passer de 250 000 écoliers à 1 million d’élèves, autour du plaisir de lire et des pratiques de lecture) ; la distribution d’un livre de littérature classique pour l’été, à tous les élèves de CM2, voire de CE1 (pour laquelle il lance un appel à mécénat) ; la réactivation d’un Observatoire national pour la lecture avec la nomination prochaine d’un(e) président(e). Pour financer certaines de ces actions, le ministre fait appel à quatre mécènes de poids (Fondation Bettencourt Shueller, Rotary International, Caisse des Dépôts et Fondation Total ).
Le point de vue du SNUipp
Invité au ministère pour découvrir ce nouveau plan, le SNUipp est intervenu sur plusieurs points.
Les jeunes en situation d’illettrisme sont encore trop nombreux (4,9 % des jeunes de 17 ans selon les tests passés lors de la Journée d’appel). C’est donc une satisfaction de voir cette question être l’objet d’une réflexion et d’entendre parler de (re)valorisation de l’école maternelle comme de préoccupation à l’égard de l’éducation prioritaire. Au-delà de l’intention et de l’affichage, la présentation par le ministère suscite beaucoup d’interrogations :
- A propos de l’école maternelle :
Il est essentiel de réaffirmer que l’école maternelle est une vraie école, avec une vraie spécificité qui nécessite des formations initiale et continue de qualité
La scolarisation précoce fait partie des dispositifs de lutte contre les inégalités sociales, et donne aux enfants qui en bénéficient un apport important, en particulier au niveau du langage. C’est notamment essentiel dans les milieux les plus défavorisés. Malgré ces constats, et malgré la loi, on assiste à une diminution rapide et drastique de la scolarisation des touts petits.
Pour les apprentissages langagiers, les documents d’application, véritables outils d’aide aux enseignants, ont été supprimés après la réécriture des programmes. Il serait profitable que le ministère les remette en circulation.
Les missions des IEN maternelle n’ont toujours pas été définies depuis leur création et la déclinaison au plan départemental est très diverse. Nous demandons une clarification de leur rôle et une précision sur le volet « illettrisme » de leurs missions.
Les questions d’effectifs restent préoccupantes dans les classes maternelles : il est difficile de mener les apprentissages de maîtrise de la langue avec des classes à 30 élèves. Pour travailler en petits groupes, il faut envisager de nouveaux dispositifs, comme plus de maîtres que de classes.
- A propos de l’éducation prioritaire :
Les enseignants en ZEP se sentent abandonnés, il est urgent de relancer une vraie politique les concernant. On voit mal les propositions qui sont faites : de quels enseignants le ministre pense-t-il disposer en soutien aux enseignants ?
- A propos des programmes et de la mémorisation :
Si une réécriture est exclue, ce que nous regrettons, il ne faudrait pas accentuer leurs aspects les plus caricaturaux. Ainsi, les programmes mettent déjà l’accent sur les aspects de systématisation et de mémorisation, certes importants, mais en omettant que les apprentissages reposent aussi sur la construction des notions. C’est de toutes les phases de l’apprentissage dont il faut se soucier, du sens donné par l’élève.
- A propos de l’aide aux élèves en difficulté :
D’après nos enquêtes de suivi, mais aussi selon le bilan du ministère, l’efficacité de l’aide personnalisée n’est pas établie pour les difficultés lourdes. Or les 4,9 % de jeunes illettrés au sortir du système éducatif (cf. statistiques journées d’appel national) relèvent de ces situations graves. A l’inverse, les RASED, qui sont fragilisés par les 1500 postes supprimés l’an dernier, pourraient jouer un rôle important. Les enseignants spécialisés sont à même d’aider à la prévention, au repérage, au suivi des élèves qui en ont besoin, en prenant en compte trois dimensions complémentaires pour entrer dans les apprentissages : maîtrise de la langue, culture et métacognition.