Déclaration du SNUipp au CSE du 22 mai 2008
Le 15 mai, près de 64% des enseignants du primaire étaient en grève. Il s’agissait pour eux de dénoncer la méthode employée et le contenu du projet qui nous est présenté. La frénésie de changement en cours (programme 2002, 2007 et ... 2008) est incompatible avec la nécessaire réflexion qui doit accompagner la mise en place de nouveaux programmes.
Nous vous avons demandé que la mise en œuvre des programmes de 2002 soit évaluée, une modification importante a été opérée en 2007, et pourtant le ministère a fait le choix d’imposer une réécriture complète des programmes de l’école primaire à nouveau cette année. La procédure d’élaboration et de concertation inscrite pourtant dans la Charte des Programmes n’a pas été respectée, et nous avons dû insister fortement pour qu’une consultation des enseignants, à minima – et dans des conditions difficiles, on s’en souvient - soit organisée. Quel contraste entre le travail et l’investissement des enseignants dans les écoles au quotidien et le peu de considération avec lequel leur avis est traité !
Ces programmes ont été bâtis sans tenir compte de l’avis des professionnels : les enseignants, les formateurs et les chercheurs. Ils tournent le dos aux acquis de la recherche des dernières décennies, prétendent s’appuyer sur les résultats des évaluations internationales mais pourtant n’utilisent aucun de leurs enseignements. En effet l’analyse de ces évaluations a mis l’accent sur la peur de l’échec, sur le manque d’assurance qui caractérise les élèves français. S’ils obtiennent de bons résultats avec PIRLS en répondant aux questions qui exigent un prélèvement d’indices, leurs résultats sont faibles dans trois types de demandes : savoir inférer, assimiler des idées et des informations, être capable d’exprimer une opinion. Ces manques de nos élèves devraient amener le ministère à enrichir le contenu et les objectifs culturels des programmes, c’est l’orientation inverse qui est prise avec un appauvrissement général des contenus. Ces nouveaux programmes n’amènent aucun changement qui pourrait favoriser la réussite en ces domaines.
La consultation finalement organisée par le ministère à notre demande révèle d’ailleurs dans la synthèse officielle, mise en ligne tardivement, les principales critiques que nous avions formulées : remise en cause des cycles, abandon de la transversalité, alourdissement dans certaines disciplines, conception simpliste des apprentissages.
En mathématiques, on assiste à un véritable alourdissement du programme : des notions étudiées jusqu’ici en collège sont intégrés dans le programme de l’école : multiplication de 2 nombres décimaux (6e CM2), .division décimale de 2 entiers (6ème > CM1), hauteur du triangle (5ème > CM1), cylindre, prisme (5ème > CM1 et CE1 pour le cylindre), périmètre du cercle (6ème > CM2), volume du pavé droit (6ème > CM2), aire du triangle (5ème > CM2), règle de trois (5ème > CM1).
Les enseignants se sont largement exprimés sur ce point et l’on peut lire, dans la synthèse des consultations, les critiques suivantes concernant le projet pour le CP/CE1 : le programme est trop chargé et les progressions trop rapides au regard des possibilités des élèves de CP et de CE1, le programme apparaît excessivement centré sur les techniques et ne laisse plus de place aux manipulations et à la découverte par les élèves ; accent trop important mis sur les techniques opératoires au détriment de la résolution de problèmes qui a disparu, le programme et la progression sont en contradiction sur la question de la division. Son approche (dans le texte des programmes) est jugée trop précoce, la progression, pour sa part prévoit la maîtrise de la technique de la division euclidienne, ce qui est jugé prématuré, la maîtrise de la technique des opérations posées est critiquée, quelques remarques portent sur la géométrie, notamment l’utilisation des outils (équerre au CP) qui est jugée trop précoce.
Le ministère n’a tenu quasiment aucun compte de ces remarques des professionnels.
En français, le déséquilibre est toujours important entre le poids de la grammaire, du vocabulaire et de l’orthographe et la lecture et l’expression écrite qui restent au second plan et marque un appauvrissement de ces programmes. Les contenus mêmes sont inadaptés, d’une part, aux capacités des élèves, et d’autre part aux possibilités d’enseignement dans le temps imparti. C’est ce que confirment nombre de chercheurs qui ont déclaré : « L’automatisation des mécanismes à l’œuvre « dans la lecture et l’écriture » nécessite que les élèves aient une pratique suffisante de l’écrit. Cette automatisation nécessite que les élèves aient une pratique suffisante de l’écrit, ce qui suppose que les activités proposées suscitent et développent l’envie de lire et d’écrire. Cette dimension est ignorée dans le projet »
En instruction civique et morale, au delà des termes très connotés, le contenu et les méthodes (adages) ont été vivement critiqués. Le seul changement réside dans la phrase : « les élèves ... disposent de plus d’autonomie » au lieu « les élèves ... deviennent plus autonomes » ! Plusieurs injonctions (adages et maximes) constituent une remise en cause de la liberté pédagogique.
En conclusion, l’ampleur des critiques, des oublis et des erreurs nécessite une réécriture complète du projet.
Si devant les réactions unanimes de la communauté éducative le ministère a dû reculer sur certains des aspects les plus dangereux comme la suppression dans les progressions de grande section des références aux apprentissages du cours préparatoire, la mention explicite de la littérature de jeunesse, et la place de la résolution de problèmes, il n’en reste pas moins que les orientations générales du texte demeurent.
Un véritable déséquilibre subsiste entre les activités d’exercice, d’entraînement et de répétition, (dont personne ne nie au demeurant qu’elles soient nécessaires), au détriment des activités de découverte, de réflexion, de construction des savoirs. La liberté pédagogique des enseignants est mise à mal avec la recommandation de manuels ou encore l’utilisation d’adages ou de techniques comme la règle de trois.
La question des horaires est lourde de conséquences. Vous avez finalement publié une grille d’horaire comme nous l’exigions. La lecture de cette dernière confirme nos analyses et les remarques formulées par les enseignants dans le cadre de la consultation. Les déclarations du ministre sur « le recentrage sur les fondamentaux » relèvent de la supercherie : les horaires de français et de mathématiques ne sont absolument pas augmentés par rapport aux programmes de 2002. Ainsi, on passe en français à un horaire hebdomadaire de 8H pour le cycle 3, à la place d’une fourchette allant de 6H30 à 8H, et pour le CP/CE1, on passe d’une fourchette de 9 à 10H à un horaire fixe de 10H. En mathématiques, il en va de même : la fourchette de 5H à 5H30 pour ces niveaux devient un horaire fixe de 5H. Par contre, la diminution de la durée hebdomadaire va forcément peser lourdement sur les horaires attribués à l’ensemble des autres matières, dont certaines risquent d’être sacrifiées. Le risque clairement établi d’infaisabilité de ces programmes est volontairement dissimulé en ayant recours à une répartition annuelle des disciplines, mais les enseignants et les parents d’élèves ne seront pas dupes.
Enfin, nous nous posons la question du devenir des documents d’accompagnement qui représentent une véritable aide pour les enseignants des écoles. Ce sont des outils professionnels de qualité pour les enseignants : ils sont utilisés par les conseillers pédagogiques et les Inspecteurs de circonscription dans de nombreuses sessions de formation continue. Ils ont fait l’objet d’un travail approfondi et sont en matière d’apprentissage de la lecture, de travail sur le langage en maternelle ou de première scolarisation des aides précieuses pour les professeurs des écoles. Le ministère a-t-il l’intention de les conserver, d’en publier de nouveau ou d’interdire leur utilisation ? Pour sa part, le SNUipp invite les enseignants des écoles à poursuivre leur utilisation.
Pour conclure, ces programmes ne représentent en rien un outil qui puisse combattre l’échec scolaire, bien au contraire. Chaque jour, dans leur classe, les enseignants cherchent à faire en sorte que les élèves maîtrisent toutes les notions, en mettant tout en œuvre pour aider ceux qui en ont le plus besoin. Les enseignants trouvent inconcevable que le ministre dénonce « la pédagogie » ! Ce terme sera-t-il bientôt interdit au ministère de l’Education Nationale ? C’est la question que l’on peut se poser à entendre certaines déclarations ministérielles publiques. Et pourtant le travail pédagogique constitue une dimension essentielle de notre professionnalité. C’est un déni et une marque de mépris pour le métier d’enseignant. C’est un risque de fragilisation et d’affaiblissement pour l’école. Nous en sommes fiers car il s’agit de faire en sorte que tous les élèves maîtrisent les notions enseignées.
Le SNUipp affirme avec force qu’il sera toujours aux côtés des collègues qui, dans leurs classes, innovent, cherchent à améliorer leurs pratiques pédagogiques, s’approprient les résultats de la recherche et explorent des chemins qui favorisent la réussite de tous les élèves. Nous réitérons, en conséquence, notre demande commune, faite avec l’ensemble de communauté éducative, de suspendre ce projet et d’enfin prendre en compte l’avis des personnels et des partenaires de l’Education.